VILLARS : UNE GROTTE LABORATOIRE

Les climats du passé enregistrés dans les concrétions de la grotte

 

La paléoclimatologie est l’étude des climats du passé et de leurs variations. La faune, la flore et les conditions de vie sont liées à un environnement naturel façonné par le climat. L’Homme qui a peint à Villars, il y a environ 20 000 ans, a connu un climat glaciaire. Cependant, le climat n’est pas stable, il varie au cours du temps. Les spéléothèmes de la grotte, étudiés par les scientifiques, nous en apportent la preuve.

A Villars, depuis 1996, l’équipe du CNRS dirigée par le paléoclimatologue Dominique Genty étudie les spéléothèmes (=concrétions) qui sont de véritables archives du climat au même titre que les carottes de glace du Groenland et de l’Antarctique ou les carottes marines.

Les carottes de glace issues des calottes polaires et les carottes extraites des fonds océaniques ont permis de créer de longues séries paléoclimatiques qui sont à la base de la nomenclature des périodes climatiques du passé. Or, le développement récent de l’étude des spéléothèmes montre que ces derniers apportent une précision inégalée dans la connaissance des âges des épisodes climatiques et dans la vitesse des transitions climatiques. La grotte de Villars est devenue une référence pour ce type d’études dans le monde.

Comment se forment les concrétions ?

Pour former une concrétion, il faut de l’eau, du calcaire et du gaz carbonique (CO2 ) produit par les plantes et l’activité microbienne du sol au-dessus de la grotte. La quantité d’eau de pluie et la production de CO2  dans le sol dépendent du climat.

1. L’eau de pluie s’infiltre dans le sol.

2. L’eau se charge en CO2  libéré par la respiration des végétaux et des micro-organismes du sol. Cette eau chargée en CO2  devient acide.

3. L’eau acide va ensuite dissoudre le calcaire (CaCO3 ) et former du bicarbonate ou hydrogénocarbonate HCO3 .

4. Au niveau de la grotte, l’eau d’infiltration va subir un dégazage et le CO2  va s’échapper des gouttes d’eau ce qui provoquera la précipitation de la calcite (CaCO3). Couche par couche, cette calcite va former les spéléothèmes.

En période froide, le concrétionnement est faible : la végétation est plus éparse (steppe) et les températures sont plus basses. Il y a moins de précipitations et donc moins d’infiltration d’eau. Par conséquent, la croissance des concrétions est plus faible et peut même s’arrêter en cas de permafrost (sol gelé toute l’année). C’est ce qui s’est passé lorsque Cro Magnon a fréquenté la grotte. Il y a eu un arrêt (=hiatus) de croissance des concrétions.

En période tempérée le concrétionnement est intense : durant les périodes tempérées il y a davantage de végétation. L’activité des plantes est accrue et l’alimentation en eau augmente. Le résultat est un concrétionnement plus intense.

Eau de pluie VS Eau d’infiltration

L’eau (sa composition et sa quantité) est le moteur de la formation des spéléothèmes. L’eau de pluie s’infiltre dans le sol mais ne parvient pas immédiatement au plafond de la grotte. Le calcaire agit comme une éponge, stockant cette eau dans des microfissures. Cette eau stockée est libérée lorsqu’une autre pluie survient, et exerce une pression suffisante pour pousser l’eau stockée. Le temps moyen que met la pluie pour arriver à l’extrémité d’une stalactite va de quelques mois à plusieurs années selon la profondeur. On observe une saisonnalité marquée dans le débit des concrétions de la grotte de Villars ; celui-ci augmente soudainement à la fin de l’automne, reste élevé durant l’hiver et le printemps, puis diminue régulièrement en été jusqu’à l’automne suivant.

La pression atmosphérique peut également influer sur le débit d’eau arrivant dans les galeries.  En général, à Villars, lorsque la pression atmosphérique augmente, le débit des concrétions diminue, et inversement quand la pression atmosphérique diminue, les débits augmentent. Cette relation entre pression de l’air et débit des concrétions n’est pas totalement élucidée et fait intervenir des phénomènes physiques qui ont lieu dans le réseau de microfissures de la grotte.  

Des concrétions qui continuent de croître !

La grotte de Villars est toujours active. Ses spéléothèmes grandissent en moyenne de 0,3 mm par an et jusqu’à 1 mm par an lors des années très pluvieuses. Cette croissance est hétérogène dans la grotte et dépend des débits essentiellement, mais aussi des conditions environnementales très locales (teneur en CO2  de la galerie, quantité de calcium dissout dans l’eau).

Croissance d’une stalactite dans la grotte de Villars entre 1997 et 2023
(Source : D. Genty, CNRS, EPOC, Université de Bordeaux)

Comment peut-on dater les spéléothèmes ?

Pour reconstruire les climats du passé, il est essentiel de disposer de deux éléments clés : une chronologie précise et un indicateur climatique. 

Une des techniques pour dater les spéléothèmes est la méthode uranium-thorium ou U/Th. L’uranium est un atome radioactif naturellement présent dans les sols (élément père), il va se désintégrer avec une période précise appelé demi-vie (245 500 ans) en un autre atome (élément fils) : le thorium.  Au cours de l’infiltration de l’eau de pluie, seul l’uranium est apporté dans les concrétions. Le thorium, lui, est produit dans la concrétion   par la désintégration de l’uranium au cours du temps. Pour dater une stalagmite par exemple, les scientifiques vont prélever une petite quantité de calcite à l’aide de micro-forets de dentiste à intervalles réguliers de la base de la concrétion jusqu’au sommet. A chaque niveau, ils vont mesurer le ratio entre uranium et thorium qui va permettre de calculer l’âge de la calcite analysée (celui-ci peut atteindre 500 000 ans avec cette méthode). Une fois tous les niveaux de la stalagmite datés avec la méthode uranium-thorium, on obtient une série d’âges du plus ancien, à la base, au plus récent au sommet.  En général on effectue une datation tous les quelques centimètres, une stalagmite peut ainsi avoir jusqu’à quelques dizaines de datations U-Th tout au long de son axe de croissance, sachant que chaque point daté nécessite un gros travail de laboratoire.

Exemple de datation d’une stalagmite de la grotte de Villars qui montre la courbe de croissance (bleu foncé) et les points datés (en rose), avec en parallèle, la courbe de variation du niveau de la mer (bleu clair). On remarque que le début de la croissance du spéléothème coïncide avec la remontée des eaux, ce qui indique un climat qui se réchauffe. On peut aussi observer, entre 8200 et 7000 ans (entre les deux flèches), une forte croissance indiquant une période particulièrement humide
(Source : D. Genty, CNRS, EPOC, Université de Bordeaux).

Comment décrypter le climat dans les spéléothèmes

Les spéléothèmes étant constitués de calcite (CaCO3) les scientifiques ont utilisé les isotopes de l’oxygène (O) et du carbone (C), pour reconstituer les climats anciens.

Les isotopes de l’oxygène : Un des indicateurs paléoclimatiques utilisés par Dominique Genty et son équipe est le ratio des isotopes* de l’oxygène de la calcite (CaCO3). Le ratio appelé aussi « delta 18O » (δ18O) * se calcule avec l’oxygène 18 (18O) et l’oxygène 16 (16O). Le δ18O est étroitement lié à la température et à la localisation géographique de la grotte (altitude et latitude) mais aussi à l’origine et la quantité de pluie qui arrive au-dessus de la cavité. A Villars, le delta 18O augmente lorsque le climat est froid tandis qu’à l’inverse il diminue avec un climat chaud. Ces interprétations ont été confirmées par l’analyse des isotopes du carbone. 

Les isotopes du carbone : Le carbone des spéléothèmes provient de deux sources principales : le gaz carbonique (CO2) du sol au-dessus de la grotte et le carbone issu de la dissolution du calcaire de la roche encaissante (la formation carbonatée dans laquelle s’est formée la grotte, qui en général est âgée de plusieurs millions d’années). Le CO2 du sol est produit par la respiration racinaire des arbres et des plantes ainsi que par les micro-organismes qui vivent dans le sol.  Ce CO2, produit au niveau du sol, est ensuite dissout dans l’eau de pluie qui s’infiltre lentement à travers les microfissures de la roche, et, au contact de la roche, l’acide carbonique dissout en partie le calcaire (aussi de formule CaCO3).  Cette dissolution apporte, dans l’eau qui s’infiltre, d’autres bicarbonates (HCO3 ) mais dont le carbone (C) provient du calcaire, et dont la composition isotopique (plus élevée) est très différente de celle du carbone issu du CO2 du sol. Dominique Genty a pu déterminer qu’environ 90 % du carbone des spéléothèmes actuels provient du CO2 du sol, et que seulement 10 % provient de la dissolution de la roche. Cela a des conséquences importantes pour l’interprétation des isotopes du carbone des spéléothèmes : le δ 13C des concrétions des grottes est donc très sensible à l’activité de la végétation au-dessus de la grotte (sa densité, sa dynamique) et à celle des micro-organismes du sol. Ainsi, lors d’un refroidissement climatique, la végétation va dépérir et les micro-organismes du sol vont se raréfier, le tout produisant beaucoup moins de CO2. Cela va se voir clairement dans la valeur du δ 13C des spéléothèmes qui va « augmenter ». Inversement, lors d’un réchauffement climatique, souvent accompagné d’une humidité plus grande, le δ 13C des spéléothèmes va diminuer, car l’apport du CO2 des plantes et des micro-organismes (dont la valeur est très négative) est prépondérant.

Le thermomètre s’emballe : une grotte qui devient de plus en plus chaude.

      Dominique Genty avec son équipe du CNRS a disposé plusieurs stations météorologiques en 1996 dans les dédales de la Grotte de Villars mais aussi à l’extérieur. Ces stations mesurent la température de l’air et du sol, le volume des précipitations, les débits sous les stalactites, le taux de CO2 et la pression atmosphérique. Elles sont placées à différentes profondeurs : à l’extérieur de la grotte, au niveau de la surface, à quelques mètres sous de la surface extérieure et enfin à 15 m et 35 m de profondeur dans les galeries de la grotte. Le graphique ci-dessous présente les températures relevées en fonction des années. La courbe bleu clair et orange représente la température relevée à l’extérieur, la courbe rouge représente la température relevée dans une salle proche de la surface (15 m de profondeur), tandis que la courbe bleu foncé représente les températures relevées dans une salle plus en profondeur dans la grotte (35 m). Ce graphique montre que la température moyenne de la grotte de Villars, comme la plupart des autres cavités, augmente continuellement à cause du réchauffement climatique. La vitesse de ce réchauffement est de 0.15°C pour dix ans dans les galeries supérieures, et 0.36°C pour dix ans dans les galeries inférieures.

Figure 1 : Evolution des températures dans la grotte de Villars
(Source : D. Genty, CNRS, EPOC, Université de Bordeaux))

Les spéléothèmes constituent des archives climatiques complémentaires des carottes de glace et marines que l’on peut dater avec une grande précision. Ils apportent de précieuses informations sur le climat sur les continents, restituant ainsi les conditions environnementales auxquelles les cultures humaines ont été exposées.  Science en essor depuis une trentaine d’années, l’étude des spéléothèmes a permis aussi de préciser les âges des événements climatiques détectés dans les carottes marines et les carotte de glaces.

Lexique :

Calcite : minéral formant les spéléothèmes de formule chimique CaCO3

Isotope : Les isotopes sont des atomes qui possèdent le même nombre d’électrons – et donc de protons, pour rester neutre -, mais un nombre différent de neutrons, influençant ainsi sa masse atomique. Par exemple, le carbone possède plusieurs isotopes : le 12C qui  a  une masse atomique de 12, le 13C qui a  une masse atomique de 13. 

Delta 18O ou d18O : rapport de l’isotope 18 de l’oxygène (18O) avec l’isotope 16 de l’oxygène (16O) par rapport à un standard international. Il est exprimé en pour mille.

 

Quelques références bibliographiques :

Genty, D. (2022). Spéléothèmes : archives du climat, éditions Hartpon, 202 p. Paris     

Site sur les spéléothèmes, quelques exemples d’étude :

 https://speleotheme.wixsite.com/paleoclimats

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